1.1 Assurance IARD
L’acronyme I.A.R.D., provient de l’expression Incendie, Accidents et Risques Divers. L’assurance IARD est aussi appelée assurance générale, assurance de dommages ou même assurance non-vie (surtout en Europe).
Typiquement, l’assurance IARD inclut surtout l’assurance automobile et l’assurance habitation, qui constituent plus de la moitié des primes du marché de l’assurance IARD. Cela peut aussi couvrir d’autres domaines variés, comme:
- L’assurance des fermes;
- L’assurance commerciale;
- L’assurance responsabilité professionnelle (avocats, notaires, médecins, actuaires, etc.);
- Les autres types d’assurances étranges (garanties prolongées, assurance salaire de sportifs, etc.).
1.1.1 Activité d’assurance et transfert de risque
L’assurance consiste à échanger un risque (qui est aléatoire) contre un montant fixe. En d’autres mots, l’assuré donne son risque de devoir payer pour un sinistre (accident, incendie, etc.) à son assureur en échange d’une prime fixe.
Contrairement aux activités commerciales dites classiques, où il est possible de connaître le coût de revient d’un produit au moment de sa vente, il est impossible, dans le domaine de l’assurance, de savoir, au moment de la vente d’un type de contrat couvrant un certain risque, quel sera le prix de revient de ce contrat. En effet, cela dépendra du taux de sinistralité et du montant moyen des sinistres que l’assureur aura été obligé d’indemniser.
Ce n’est donc minimalement qu’à l’échéance de la période de couverture d’un contrat d’assurance que l’assureur pourra savoir si un contrat a été rentable. Pour résumer, on dit souvent que le produit d’assurance est dans une situation de cycle de production inversé.
1.1.2 Termes techniques
Définition 1.1 L’exposition au risque correspond à la période de temps (en jours, en heure, etc.), sur une durée donnée, pour lequel l’assuré était couvert par l’assurance.
Exemple 1.1 Pour l’année 2015, un assuré sera couvert pour 180 jours si un assuré possède une assurance commençant le 1er juillet 2015 jusqu’au 30 juin 2016.
La sinistralité en assurance est habituellement considérée comme une variable aléatoire en actuariat. Comme actuaire, nous cherchons ainsi habituellent à faire une prédiction pour
- Le nombre de réclamations;
- Le coût total de réclamations, souvent appelé charge totale (en anglais: Loss Cost).
Il peut être pertinent de normaliser ces variables aléatoires pour obtenir une sinistralité moyenne, pour une exposition de 1. Nous obtenons ainsi:
Définition 1.2 La fréquence correspond au nombre de sinistres observés par unité d’exposition: \[\text{Fréquence} = \frac{\sum \text{Réclamations}}{\sum \text{Exposition}} = \frac{\text{Nombre de réclamations}}{\text{Exposition totale}}\]
Définition 1.3 La charge pure correspond au coût moyen d’assurance par unité d’exposition: \[\text{Charge pure} = \frac{\sum \text{Coûts}}{\sum \text{Exposition}} = \frac{\text{Charge totale}}{\text{Exposition totale}}\]
Dans la tradition actuarielle, ce qui est nommé ici charge pure est appelée prime pure. Par contre, étant donné que le calcul de la prime implique une forme de distance (voir la prochaine sous-section), il est préférable de ne pas utiliser ce terme.
En plus du nombre de réclamations et du coût total, une autre variable aléatoire est communément analysée en actuariat:
Définition 1.4 La sévérité correspond coût moyen d’un sinistre: \[\text{Sévérité} = \frac{\sum \text{Coûts}}{\sum \text{Sinistres}} = \frac{\text{Charge totale}}{\text{Nombre de réclamations}}\]
La sévérité n’est observée que lorsqu’il y a au moins un sinistre. Un assuré sans réclamation a une sévérité non-observée, et n’a pas une sévérité de 0.
Définition 1.5 Une équation montre le lien qui existe un lien entre fréquence, sévérité et charge pure: \[\begin{eqnarray*} \text{ Charge pure} &=& \frac{\text{Charge totale}}{\text{Exposition totale}} \\ &=& \underbrace{\frac{\text{Charge totale}}{\text{Nombre de réclamations}}}_{\text{Sévérité}} \times \underbrace{\frac{\text{Nombre de réclamations}}{\text{Exposition totale}}}_{\text{Fréquence}} \\ &=& \text{Sévérité} \times \text{Fréquence} \end{eqnarray*}\]
Ainsi, en tarification, les actuaires peuvent modéliser directement la charge pure, ou encore faire l’exercice en deux étapes, avec la fréquence et la sévérité. On utilisera une variable aléatoire \(S\) pour définir la sinistralité en assurance (fréquence, sévérité ou charge pure).
1.1.3 Prime d’assurance
L’assuré échange son risque \(S\) contre une constante \(p\) correspondant à une prime d’assurance. La prime correspond à la constante \(p\) qui approche le plus possible la variable aléatoire \(S\). Il existe plusieurs manières de quantifier l’expression la plus proche. En actuariat, il est habituel de choisir la distance \(d_2\) suivante:\[ d_2(S,p) = E[(S-p)^2] \]
Définition 1.6 La constante \(p\) qui d’une variable aléatoire \(S\) au sens de l’erreur quadratique est la moyenne.
Démonstration
\[\begin{eqnarray*} E[(S-c)^2] &=& E[(S-E[S] + E[S] - c)^2] \\ &=& E[(S-E[S])^2] + 2(E[S] - c)E[S - E[S]] + (E[S]-c)^2 \\ &=& E[(S-E[S])^2] + (E[S]-c)^2 \\ && \Rightarrow c^* = E[S] \end{eqnarray*}\]
1.1.4 Segmentation des risques
L’une des grandes caractéristiques de l’assurance est que tous les individus ne sont pas égaux devant le risque. Certains assurés sont en effet plus dangereux que d’autres. Ainsi, au-delà de déterminer le juste prix du risque à chaque assuré, la segmentation des risques implique aussi ce qui est désormais appelé la guerre de l’antisélection.
Exemple 1.2 Supposons un cas simple d’une assurance pour vol pour de baggages, où nous supposons les éléments suivants:
- Nous travaillons avec deux types d’assurés \(A\) et \(B\);
- Nous avons le même nombre d’assurés de chaque type: \(n_A = n_B\);
- Les distributions de perte suivantes:
\[\begin{equation*} S_A = \begin{cases} 0 & \text{avec probabilité de } 90 \%\\ 250 & \text{avec probabilité de } 10 \%\\ \end{cases}, \end{equation*}\]
\[\begin{equation*} S_B = \begin{cases} 0 & \text{avec probabilité de } 80 \%\\ 250 & \text{avec probabilité de } 20 \%\\ \end{cases}, \end{equation*}\]
Calculez la prime pure pour le cas où:
- L’actuaire est au courant des différences entre les risques;
- L’actuaire n’est pas au courant des différences entre les risques.
(Exemple à faire en classe)
Nous pouvons faire quelques observations:
- Le portefeuille est composé de \(n_A + n_B\) individus;
- Les risques ne sont donc pas identiquement distribués.
Deux situations sont à analyser:
1- L’actuaire est au courant de la différence entre les deux groupes. Ainsi, la prime pour chacun des groupes est:
\[\begin{eqnarray*} \text{Prime nette}_A = E[S_A] &=& 25 \\ \text{Prime nette}_B = E[S_B] &=& 50 \end{eqnarray*}\]
2- L’actuaire n’est pas au courant de la différence entre les deux groupes. Ainsi, pour lui, tous les assurés sont similaires. Il propose donc la même prime aux deux groupes d’assurés. Plus précisément, il voit la sinistralité de son portefeuille comme:
\[\begin{equation*} S_{AB} = \begin{cases} 0 & \text{avec probabilité de } 85 \%\\ 250 & \text{avec probabilité de } 15 \%\\ \end{cases}, \end{equation*}\]
Ainsi, la prime calculée est:
\[\begin{eqnarray*} \text{Prime nette}_{AB} = E[S_{AB}] = 37.50 \end{eqnarray*}\]
Cette prime de \(37.50\) peut être décomposée comme:
- \(25\) pour payer ses pertes (ce qu’on appelle mutualisation);
- \(12.50\) pour diminuer artificiellement la prime des assurés du groupe B (ce qu’on appelle solidarité).
Exemple 1.3 Pour la compagnie d’assurance # 2 du deuxième actuaire, quelles seront les conséquences de l’hétérogénéité de ce portefeuille si une autre compagnie d’assurance, la compagnie # 1 du premier actuaire, arrive dans le marché et tarifie correctement selon le groupe?
(Exemple à faire en classe)
Si on suppose que le comportement des assurés ne se base que sur le montant de la prime, en excluant toutes les autres considérations de service à la clientèle, les assurés iront toujours vers l’assureur offrant la prime la plus basse:
- Les membres du groupe A iront s’assurer dans la compagnie d’assurance # 1 car la prime proposée est de \(25\), au lieu de \(37.50\).
- Les membres du groupe B resteront dans l’assureur # 2 car la prime qu’ils ont est de \(37.50\), au lieu d’une prime de \(50\) proposée par l’assureur # 1.
En conséquence, l’assureur #1 attirera tous les membres du groupe B, et l’assureur #2 aura tous les assurés du groupe A.
L’assureur #2 ne tarifie pas selon le risque réel, et aura des pertes de:
\[\begin{eqnarray*} \text{perte} &=& \text{sinistres à payer} - \text{primes à recevoir}\\ &=& n_B \times 50 - n_B \times 37.50 \\ &=& n_B \times 12.50 \end{eqnarray*}\]
L’assureur #1, quant à lui, tarifie selon le risque réel car la prime offerte aux assurés du groupe A correspond à la perte moyenne des membres de ce groupe, soit \(25\).
En conclusion:
- Les résultats technique de la seconde compagnie seront équilibrés;
- La première compagnie subira de fortes pertes.
Exemple 1.4 Poursuivons avec le même exemple. Un actuaire tout frais diplômé de l’UQAM s’appercoit d’une nouvelle caractéristique du risque de divisant en deux modalités \(1\) et \(2\). Ainsi, on peut même diviser les types \(A\) et \(B\) en sous-catégories \(A1\), \(A2\) et \(B1\), \(B2\), tous de taille similaire, ayant les distributions de perte suivantes:
\[\begin{equation*} S_{A1} = \begin{cases} 0 & \text{avec probabilité de } 95 \%\\ 250 & \text{avec probabilité de } 5 \%\\ \end{cases}, \end{equation*}\]
\[\begin{equation*} S_{A2} = \begin{cases} 0 & \text{avec probabilité de } 85 \%\\ 250 & \text{avec probabilité de } 15 \%\\ \end{cases}, \end{equation*}\]
\[\begin{equation*} S_{B1} = \begin{cases} 0 & \text{avec probabilité de } 85 \%\\ 250 & \text{avec probabilité de } 15 \%\\ \end{cases}, \end{equation*}\]
\[\begin{equation*} S_{B2} = \begin{cases} 0 & \text{avec probabilité de } 75 \%\\ 250 & \text{avec probabilité de } 25 \%\\ \end{cases}, \end{equation*}\]
Quelles seront les conséquences de cette découverte de ce nouvel actuaire sur le marché ?
(Exemple à faire à la maison.)
Par contre, il serait intéressant de voir ce qui se passerait si on supposait trois compagnies différentes: i) Une compagnie \(C_1\) ne discriminant que sur les infos sur les types \(A,B\); ii) Une compagnie \(C_2\) ne discriminant que sur les infos sur les types \(1,2\); iii) Une compagnie \(C_3\) ne discriminant pas.
Et que le marché de l’assurance soit composé de (\(C1\) et \(C2\)), de (\(C1\) et \(C3\)), de (\(C2\) et \(C3\)), ou de (\(C1\), \(C2\) et \(C3\)).
Dès qu’un assureur introduit une nouvelle variable efficace et pertinente dans sa tarification, les compétiteurs n’utilisant pas cette nouvelle variable vont nécessairement subir des pertes. Nous constatons ainsi ce que nous appelons une spirale de segmentation.