1 L’e-discovery : la mission impossible
L’histoire suivante illustre à quel point les opportunités peuvent surgir de manière inattendue.
En effet, à 56 ans, je ne m’attendais pas à trouver un poste intéressant. Souvent, des arguments tels que “trop vieille” ou “trop expérimentée” sont utilisés pour refuser un emploi, en particulier lorsqu’il s’agit d’une femme.
Alors que je postulais pour un poste de directeur de projet, je reçus une offre de travail de la Direction Juridique de la banque. Ils cherchaient un chef de projet expérimenté dans le domaine du système d’information bancaire pour gérer un projet important tant au niveau national qu’international.
Au cours du premier entretien d’embauche, je rencontrais trois directeurs, dont une avocate expérimentée qui s’est avérée être une alliée précieuse. Les deux autres directeurs étaient également très impressionnants dans leurs postes respectifs. Bien que n’ayant pas compris les attentes exactes du poste, je répondais positivement à la question : oui , je connaissais bien le système d’information de la Banque.
Lors du deuxième entretien d’embauche, j’étais terrifiée à l’idée de rencontrer le Secrétaire Général du groupe.
Je m’attendais à être disqualifiée, mais après seulement 10 minutes, sans s’attarder sur mon profil, celui qui serait mon futur supérieur hiérarchique m’a informé qu’il se conformait à l’avis de ses directeurs et que les autorités américaines exigeaient que nous commencions très rapidement.
Jamais un entretien d’embauche interne n’avait été mené aussi rapidement. La confiance spontanée et le respect mutuel ne se sont jamais démentis au cours de ces six années.
J’ai alors compris que ce poste serait très spécial ; les enjeux étaient colossaux pour la banque, d’autant plus que la presse venait d’annoncer une amende de 9 milliards de dollars infligée à une banque pour des faits similaires reprochés à la nôtre.
Deux jours plus tard, je participais donc à ma première réunion, qui s’est révélée très intimidante, avec des avocats américains et un cabinet de conseil londonien. Ils parlaient un anglais très rapide et abordaient des sujets totalement inconnus pour moi.
Je me sentais perdue au milieu de personnes qui me semblaient inaccessibles ; parmi eux Pierre, Avocat associé du cabinet américain, auteur d’un livre sur la justice américaine « deals of justice » et conseillait les présidents du CAC 40. Sa renommée était déjà établie. Je n’imaginais pas alors que Pierre deviendrait à la fois un initiateur et un allié précieux pour Theolex.
C’est ainsi que je me suis lancée dans l’aventure la plus risquée du groupe, en acceptant le poste de responsable technique de l’e-discovery.
Mais au fait, qu’est ce qu’une e-discovery et en quoi cela consistait-il ?
Une E-discovery , c’est une enquête interne commanditée par un régulateur américain qui va vous demander de fournir l’ensemble des données relatives à l’enquête sur une période plus ou moins longue avec un certificat de garantie de non altération de ces données et dans des délais invraisemblables
Mon rôle consistait à collecter toutes les données relatives aux paiements en dollars de la banque au cours des 10 dernières années, soit des centaines de millions d’informations. Ces données devaient être collectées, structurées et traitées par une équipe de consultants du cabinet de conseil londonien.
Tout au long de ma carrière dans le groupe, j’avais toujours privilégié les rapports humains entre collègues. Le choix de l’informatique n’était pas seulement lié à un intérêt pour les nouvelles technologies mais était beaucoup plus guidé par le besoin de découverte des métiers de la banque en France mais aussi à l’international. J’ai ainsi travaillé dans plus de 8 directions différentes ce qui m’a permis de constituer un réseau de collègues aux profils variés. J’ignorais avec ce dernier poste que ce réseau patiemment tissé serait un secours pour la mission.
Comme je l’ai mentionné, l’e-discovery est une enquête, ce qui signifie que dès le départ, vous êtes dans un état de sidération face aux exigences qui vous sont formulées.
Imaginez-vous devant votre responsable accompagné d’un avocat américain, vous demandant si vous vous souvenez précisément de ce qui s’est passé il y a 12 ans, à une date spécifique, et vous demande si vous pourriez retrouver tous les éléments, documents et courriels que vous auriez échangés à cette époque, et ce, dans un délai de deux semaines. En raison de la confidentialité de la demande, vous n’avez pas connaissance de la nature de celle-ci, mais la présence d’un avocat a un effet paralysant sur vous.
La première réaction de vos collègues à votre sollicitation est une réaction de refus et de rejet. Les équipes techniques composées principalement de consultants qui se renouvellent en permanence n’étaient pas présentes à l’époque. Toutes les données avaient été copiées à l’époque sur des cassettes ou des bandes, on ne disposait pas des bons lecteurs, devenus obsolètes tous les 2 ans. Il fallait retrouver les anciens lecteurs, ce qui prendrait des mois alors que l’on m’avait donné un délai de 2 semaines. Heureusement nous avons pu retrouver des vieux lecteurs au marché aux puces, ce qui restera dans les annales de l’enquête.
Il aura fallu solliciter pas moins de 500 de mes amis techniciens, ingénieurs, banquiers avec qui je partage la passion des nouvelles technologies pour accomplir la prouesse de tout retrouver. Sans ces liens très forts qui unissent les collègues dans les moments difficiles, sans l’action dans l’ombre de tous ces “informaticiens taiseux” qui ne parlent pas mais ont le don de ne jamais rien concéder aux machines, rien n’aurait été possible.
De plus, l’enquête se déroulant simultanément en France, en Europe et en Asie sous la houlette de nos collègues américains, la réussite ne pouvait venir d’une connaissance uniquement technique mais beaucoup plus d’une motivation et du plus beau sourire pour sortir de toutes les impasses. Le mot solidarité s’écrit dans toutes les langues.
Cette expérience m’a appris que les défis les plus difficiles peuvent être surmontés grâce à la solidarité et à la coopération entre les membres d’une équipe. Nous avons tous des compétences uniques et nous devons apprendre à nous en remettre les uns aux autres pour accomplir nos objectifs communs.
Si les équipes techniques ont été soumises à une forte pression, la pression exercée sur la direction de la banque était maximale. Il a été crucial d’établir rapidement des relations de confiance avec de nombreux directeurs afin de persuader les régulateurs américains de notre volonté de coopérer.
Heureusement, nous avons trouvé un allié précieux en la personne de Joydeep, un avocat du cabinet américain. Il a joué un rôle crucial en faisant le lien avec les équipes américaines et en nous expliquant patiemment la situation. Grâce à cet homme extraordinaire, qui nous a donné accès à son vaste réseau mondial de relations, nous savions quelle direction prendre et avons réussi à maintenir ce rythme pendant quatre ans
Joydeep s’est très vite intéressé à notre petite équipe. C’est un personnage hors du commun.
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